La France discréditée par son soutien au régime Ben Ali

Publié le par TUNISIE STOP TORTURE

LE MONDE | 31.10.09 | 13h25 • Mis à jour le 31.10.09 | 13h25

Nul besoin d'épiloguer longuement sur les résultats des élections présidentielle et législatives tunisiennes du 25 octobre. En s'accordant un score inférieur à 90 % des voix - officiellement de 89,62 % -, le président Ben Ali a cherché à éviter les sarcasmes que lui avaient valus les scores à la soviétique des précédents scrutins (99 % et 95 % des suffrages).


On ne répétera jamais assez à quel point le "pluralisme" politique mis en avant par le palais de Carthage à l'intention de l'étranger est une mascarade. Le chef de l'Etat tunisien choisit soigneusement ses opposants. Il dessine lui-même la carte politique de la Tunisie, sur laquelle le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), doit garder l'absolue mainmise par le biais d'un clientélisme et d'un maillage policier difficilement imaginables. Ben Ali élimine par avance, à coups d'amendements électoraux taillés sur mesure, tous ceux qui pourraient lui faire de l'ombre, quand bien même ces derniers ne risqueraient pas une seule seconde de l'emporter. Il récompense les uns, humilie les autres, alors que la situation plutôt prospère de la Tunisie et sa stabilité pourraient l'amener, au contraire, à ouvrir l'espace politique et instaurer une véritable démocratie.

Toutes les grandes figures de l'opposition ont ainsi été écartées de la course à la présidence. Le seul "vrai" candidat de l'opposition, qui ait été autorisé à concourir, Ahmed Brahim, du parti Ettajdid, un homme sans charisme mais à la réputation d'intégrité, s'est vu attribuer le score ridicule de 1,57 % des suffrages. En revanche, deux autres prétendants à la magistrature suprême, totalement inconnus du grand public, se sont vu décerner respectivement 5,01 % et 3,80 % des voix. Il faut dire qu'en dépit de leur statut officiel d'"opposants", ils avaient fait campagne en faveur du président Ben Ali !

Il faut cesser de se laisser prendre au langage du palais de Carthage, selon lequel la Tunisie de Ben Ali est /"une démocratie émergente et perfectible"/. Un argumentaire soigneusement mis au point à Tunis, où l'on sait que ce ton bonasse, faussement modeste, a toutes les chances de séduire les visiteurs occidentaux.

Si elle est performante en matière économique - mais pas autant qu'elle le pourrait, compte tenu de l'inhibition des entrepreneurs face au comportement prédateur des proches du pouvoir -, la Tunisie de Ben Ali ne progresse en rien sur la voie de la démocratie, et n'en a nulle intention. Quiconque émet une voix discordante est systématiquement combattu, et voit sa vie rendue infernale par une série de représailles dont on n'a pas idée en France : Agressions physiques graves ; filatures collantes ; courriers électroniques détournés ; domiciles assiégés ; asphyxie alimentaire, suite aux interdits professionnels ; campagnes de presse diffamatoires, et souvent même obscènes quand il s'agit de femmes. Et cela, en toute impunité...

Car porter plainte contre ces méthodes de voyou est inutile : les plaintes sont systématiquement classées sans suite. La justice tunisienne est totalement instrumentalisée. On ne compte plus les obscures procédures déclenchées contre tel ou tel opposant ou militant des droits de l'homme, qui se voit soudain écroué ou interdit de quitter le territoire tunisien, au motif qu'il est l'objet d'une plainte, opportunément déposée ou exhumée, mais entièrement ignorée de l'intéressé.

"Etat de droit", "démocratie", "multipartisme" et "transparence" font partie du vocabulaire préféré du régime tunisien. On ne peut exclure que le président Ben Ali, qui commence donc un cinquième mandat après vingt-deux ans de pouvoir sans partage, finisse par croire à ces mots totalement vides de sens dans son propre pays. Mais les capitales européennes, elles, ne peuvent pas être dupes. Elles savent bien que l'espace des libertés ne grandit pas en Tunisie, contrairement à ce qu'affirmait M. Sarkozy lors de sa visite officielle à Tunis, en avril 2008.

Les Tunisiens eux-mêmes sont lucides. Un certain confort matériel, la peur de représailles ainsi que la crainte de l'inconnu les poussent à s'accommoder d'un régime, qu'en privé, les uns et les autres avouent exécrer, en particulier pour la façon dont il pille sans vergogne les richesses du pays. Dans le moindre petit village reculé de Tunisie, il se trouve toujours un intellectuel, instituteur ou autre, pour rappeler avec ironie et amertume les propos de Nicolas Sarkozy, le jour de son installation à l'Elysée, le 16 mai 2007 : /"Je ferai de la défense des droits de l'homme /(l'une des deux) /priorités de l'action diplomatique de la France dans le monde."/

En continuant à soutenir aveuglément le président Ben Ali, en le félicitant pour sa /"victoire"/ comme elle l'a fait il y a quelques jours, et en l'assurant de son entier /"soutien"/ sans la moindre distance critique - à la différence des Etats-Unis -, la France pratique une politique à courte vue. Et cela au nom d'intérêts économiques, de lutte contre le terrorisme et l'immigration clandestine ou de la relance d'une Union pour la Méditerranée moribonde. Un jour viendra où il faudra pourtant rendre des comptes. La France s'apercevra alors qu'elle a perdu l'essentiel de son prestige et de sa crédibilité.

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Courriel : beauge@lemonde.fr


*Florence Beaugé*
Article paru dans l'édition du 01.11.09

Publié dans ESPACE INFO

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