Le rouleau compresseur 2009 arrive droit sur nous

Publié le par KHALED BEN M'BAREK

POUR DES ETATS GENERAUX DE LA LIBERATION
 A deux ans de l'échéance électorale de 2009, la banquise tunisienne semble tout ignorer du réchauffement climatique. Si l'on excepte le combat exemplaire des prisonniers politiques, on n'aura aucun mal à constater que l'opposition nationale maintient encore son refus de finir son pain noir, laissant le général Ben Ali mener la pays vers l'inconnu. Avec 7 millions de touristes attendus cette année, avec les milliards de la vente de quelques arpents de Tunis, avec la visite éclair de Sarkozy et de la gentille Rama Yade, le maître de Tunis joue sur du velours.
N'eût été Mohamed Abbou, libéré de haute lutte, Karim Harouni, qui tient tête à la pénitentiaire tout entière, Abdallah Zouari, qui fait courir une partie du ministère de l'intérieur, qui saurait encore que la Tunisie est une tortiocratie ??
On en arrive à un constat effrayant : les adversaires du général Ben Ali ne disent plus la vérité sur leur pays. Pire, ils semblent camoufler cette vérité de mille et une manière rien que par leur désunion et leurs querelles, de bonne foi…
Or, si l'on se rappelle bien, jusqu'en septembre 1991, le pouvoir de Ben Ali semblait voué à une fin plus ou moins proche, mais inéluctable. Pensez donc : cette fameuse visite annulée au milieu des année 1990 par la partie grecque et qui n'a jamais eu lieu depuis;  récemment encore, on a vu ce qu'il en était des relations avec la Suisse lors du SMSI, pour ne prendre que ces deux exemples.
L'isolement diplomatique et médiatique du pouvoir en place donnait l'impression d'une pénible fin de règne. Cette situation ne devait rien au hasard. C'était le fruit d'un travail infatigable et constamment relancé par une opposition qui croyait en ses chances et à la justesse de son combat.
Que s'est-il donc passé pour que nous dégringolions à ce point. Il serait pour le moins léger de tout mettre sur le compte du 11-Septembre. Le premier facteur interne semble être d'ordre subjectif : les piliers de l'opposition semblent avoir cru possible de réaliser un dessein politique anti-Ben Ali, quel qu'il soit, sans les autres. Chacun sentant que le voisin était en train de le doubler, l'émulation politique saine et créatrice s'est muée en course folle non pas pour vaincre l'infâme monstre qui tyrannise tout le monde, mais pour damer le pion au voisin, pour discréditer l'ami de 30 ans ou pour réduire celui qui pourrait un jour vous faire de l'ombre. ..
Cette situation malsaine a exacerbé de sourdes rivalités personnelles, peu à peu transformées en hostilité implacable, voire en haine inexpugnable.
C'est la situation que Taoufik Ben Brik avait reprise par la légère et non moins saisissante métaphore des « 300 généraux Patton sans troupes… »
Pendant ce temps-là, Ben Ali agissait pour structurer l'espace politique à sa convenance. Il décidait ainsi souverainement de qui est admis dans la légalité ou dans la marge, de qui est confiné dans l'illégalité… Au passage, il faisait le nécessaire pour vider l'idée même d'opposition de toute substance. Au point que des individus tels que Harmel, Ahmed Brahim ou Inoubli sont qualifiés d'opposants, alors que l'ATFD est financée par l'argent de la présidence… On aura tout vu !
L'UGTT, force d'opposition de premier plan, phagocytée de partout[1], est devenue une énorme milice menée par un Ali Romdhane, dont on ne sait plus ce qu'il est ni ce qu'il a été et encore moins ce qu'il souhaite faire de la naguère illustre centrale syndicale.
Dans ce même esprit, le pouvoir a soufflé l'idée de la "réconciliation nationale", que certains ont attrapé au bond. Ce n'est pas la réconciliation où les torts sont reconnus et réparés, ni celle où les victimes sont réhabilitées et les bourreaux poursuivis… La réconciliation pour Ben Ali est une reddition sans condition, une négation de soi et éventuellement un passage à l'ennemi avec armes et bagages. En somme, une nouvelle Harka…
Ceux qui s'y sont trompés se sont ravisés; les autres espèrent toucher quelque dividende en se faisant les commis rabatteurs du ministère de la Loi et de l'Ordre.
Parmi ces derniers, il y en a qui ont une histoire, tel ce nouveau zélé de Bouabdallah. Or, comme quelqu'un l'a dit si bien, il n'y a rien de plus vil qu'une victime qui éprouve du respect pour son bourreau.
Malgré tout, est-ce à dire que l'opposition nationale est condamnée à faire du sur place ? Les opposants tunisiens seraient-ils à ce point incapables de se remémorer toutes les batailles et tous les succès remportés ensemble, main dans la main jusqu'à ce satané 11-Septembre ?
Avant que la nuit bénalienne ne prolonge son voile lugubre sur notre pays pour cinq nouvelles années, il faut que les représentants de la société civile réagissent vite et ferme.
A l'attention de  tous les adversaires de la présidence à vie et de la tyrannie permanente, nous osons cette proposition :
Se réunir sur le territoire national étant impossible, pourquoi les symboles de la conscience tunisienne, à l'intérieur comme en exil et aussi divers soient-ils, comme vous le verrez dans nos interviews avec MM. Ghannouchi et Marzouki, n'éliraient-ils pas une terre étrangère accueillante – la Suisse, par exemple – pour y tenir des Etats généraux de la délivrance. Tel le serment du Jeu de Paume, ces militants et militantes ne se sépareraient pas avant d'avoir mis en place les instruments politiques, juridiques et institutionnels à même de réaliser la libération du peuple, l'instauration d'une démocratie digne de ce nom et la sauvegarde définitive de la paix civile.
Avec un peu de conscience historique, de bonne foi, de volonté de dépassement et un minimum de courage, l'organisation de ces assises délibératives et, éventuellement électives, ne serait pas au-dessus des forces de l'opposition.
D'abord, rétablir les ponts, recréer les liens, laisser cicatriser les blessures, même les plus douloureuses et maintenir sous contrôle l'ego de chacun, en vue d'une action commune nécessaire pour le salut de notre pays et l'émancipation d'un peuple écrasé par une "policiarisation" faisant de la loi du plus fort la loi tout court, comme l'a démontré si brillamment Béatrice Hibou. [2]

Serait-ce donc trop demander à des militants censés agir exclusivement pour le bien public ?

[1]  Béatrice HIBOU, La force de l'Obéissance. Ed. La Découverte.  « [Les membres du RCD] contribuent à discipliner l’UGTT et à la rendre plus docile au pouvoir central. » p. 104
[2] Ibid. p.99-100. Pour ceux qui n'auraient pas encore lu cette dissection scientifique de la réalité tunisienne mise en langage comme jamais auparavant, ce passage encore : « Ce qu'il faut respecter ce n'est pas la Loi, mais la loi du plus fort, c'est-à-dire celle de la police, supérieure à tous les autres pouvoirs, qui est là pour faire respecter la loi mais surtout pour imposer sa propre loi, bénéficiant d'une totale impunité et pouvant, à tout moment, exercer son pouvoir par la violence. Autrement dit, "Craindre la police et collaborer avec elle est la loi." »

(Source : "L'Audace" (Mensuel tunisien– France), N° 151, septembre 2007)

Publié dans ESPACE INFO

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